Le Journal de l’Automobile : Quel regard portez-vous sur le contexte du marché français ?
Cyril Bravard : Sur un plan très personnel, cet exercice ne restera pas un grand souvenir. En raison des changements dans les conditions d’accès, nous avons perdu le bonus en décembre 2023 et six mois plus tard, nous avons été frappés par des taxes douanières de 18,8 %. Plus généralement, je pensais que le marché français connaîtrait une plus grande pénétration des ventes de voitures électriques.
JA : À qui la faute ?
CB : À mon avis, il y a eu trop de désinformation sur la mobilité électrique. Les Français considèrent ces véhicules comme une obligation. Ils les jugent trop chers et peu pratiques en raison de leur autonomie. Il faudrait cependant communiquer sur le bénéfice en termes de coût de possession et la réelle praticité au quotidien. À cela s’ajoutent l’incertitude politique et le manque de visibilité sur la trajectoire budgétaire. Le rejet de l’électrique n’est pas massif, mais on aurait pu faire mieux et aboutir à 20 à 22 % de pénétration.
JA : Cela explique-t-il les résultats commerciaux de Smart, qui s’apparentent à une opportunité manquée ?
CB : Ce n’est pas une occasion manquée pour Smart. Mais il faudra attendre plus longtemps que prévu. Je ne partage pas les statistiques de prises de commandes, cependant, on observe bien les effets des décisions politiques. Après une belle montée en puissance entre juillet et décembre 2023, la fin du bonus écologique a brutalement brisé la dynamique. Nous avons payé le prix des mesures protectionnistes et nous nous attendons à ce que les taxes douanières aient également des conséquences néfastes. Smart doit rester concentré sur l’objectif de relancer la marque en lui donnant une famille, dont la prochaine #5 qui n’aurait de toute façon pas bénéficié d’aides à l’achat.
On se donne encore le temps de s’ajuster avant d’aborder 2025
JA : Il y aura toujours la taxe douanière. Qu’est-ce qui est prévu pour atténuer les conséquences ?
CB : Nos actionnaires sont plongés dans leurs réflexions. Il se passera beaucoup de choses dans les mois à venir. Pour l’instant, les prix n’ont pas changé. Nous absorbons cette hausse de 18,8 %. Mais nous ne pouvons pas continuer éternellement. Les discussions portent justement sur ce point et la tendance, qui reste à confirmer, serait d’un impact de l’ordre de 2 000 à 2 500 euros.
JA : Face à ces réalités, comment comptez-vous terminer l’année 2024 et quelles sont les projections pour 2025 ?
CB : Normalement, à la mi-décembre, le budget est approuvé pour l’année suivante. Ce qui n’est pas notre cas pour les raisons que je viens d’exposer. On se donne donc encore le temps de s’ajuster avant d’approcher 2025.
JA : Revenons au n°3, que vous ont appris les premières semaines de marketing ?
CB : J’ai le sentiment que le format de cette voiture, tant dans les dimensions que dans les lignes, correspond parfaitement aux attentes du marché. Les professionnels qui nous comparent à des concurrents tels que les clients des concessions louent le travail de Smart avec #3. C’est ce qui nous frustre encore plus, car sans les contraintes dont nous parlions, le succès commercial serait énorme. Les premières commandes nous surprennent car la version Brabus fait deux fois mieux que nos prévisions, avec une part de 40% dans le mix.
JA : Arrive-t-elle à s’imposer comme la première voiture du foyer ?
CB : Un changement est en train de s’opérer. Ce n’est pas seulement spécifique à la marque Smart, il me semble. Lorsque nous avons lancé le #1 en 2023, les clients l’ont pris pour l’utiliser en semaine et non en partant en week-end. Depuis le second semestre 2024, les clients se posent des questions sur la recharge et indiquent clairement qu’ils envisagent toutes les formes d’usage. Les conversations sont plus riches et on voit qu’ils ont intégré tous les paramètres de la conduite électrique.
JA : Comment les clients financent-ils leur achat de Smart ?
CB : A ce jour, sept acheteurs sur dix optent pour une formule de location et plus particulièrement une location longue durée. Ils bénéficient du Smart Mobility Leasing, notre offre en marque blanche construite avec Ayvens. Les contrats durent trois ou quatre ans. Il y a en réalité deux écoles en la matière. Le cœur de gamme se trouve être la finition Premium dont le montant de la location s’élève à environ 520 euros sur trois ans. Mais comme il y a beaucoup de Brabus dans le mix, la moyenne se rapproche de 550 euros. La différence entre le #1 et le #3 doit être de 20 euros par mois.
Les n°1 et n°3 compenseront les ajustements de gamme effectués par Mercedes
JA : Sans donner de chiffres précis, quelle est l’évolution des prises de commandes ?
CB : Depuis plusieurs semaines, la répartition tourne autour de 55% pour le #3 et de 45% pour le #1. Nous sommes heureux de bénéficier d’un meilleur équilibre que prévu. Le n°5 va bousculer le marché avec ses spécifications techniques, mais il fera moins sourciller que le n°1. Cela avait suscité une émotion négative chez certains observateurs attachés à la Fortwo. Ils croyaient à tort que nous voulions remplacer l’un par l’autre. Il s’agissait cependant de créer une complémentarité des offres.
JA : Dans quelle mesure Smart joue-t-il le rôle de porte d’entrée chez Mercedes que vous souhaitiez lui donner ?
CB : Nous assumerons chaque jour un peu plus ce rôle. Smart et Mercedes n’étaient pas en concurrence pour les clients. Les n°1 et n°3 compenseront les ajustements de gamme effectués par Mercedes. Mais je pense que nous complétons le spectre du groupe. Il ne s’agit pas seulement du produit ou du prix, mais de l’émotion véhiculée par la marque.
JA : Parlons distribution, où en êtes-vous de votre déploiement territorial ?
CB : Ce projet a été réalisé très rapidement. Nous avons conservé le périmètre des premières heures, à savoir 47 points de vente, situés dans les concessions Mercedes.
JA : Qu’en est-il de votre plan agent, alors que de nombreuses marques font marche arrière ?
CB : Sur le papier, la vente digitale pourrait nous convenir, car nous avons une image de connectivité. Nous sommes cependant convaincus que le modèle d’agence ne doit pas marginaliser les distributeurs. Au contraire, Smart a besoin d’un solide réseau de points de contact pour les clients qui ont besoin d’être rassurés en allant essayer le produit et discuter avec un commercial.
JA : Qu’en est-il de la rentabilité ?
CB : Je ne communiquerai pas sur cet élément. Le modèle a prouvé ses avantages, comme la réduction des stocks ou le contrôle du prix de vente. Pour de nombreux constructeurs, ce modèle ne convient pas car les moyens financiers nécessaires sont plus conséquents. De plus, Smart étant une marque secondaire pour les distributeurs, ceux-ci ne le vivent pas comme un affront.
JA : La revente de voitures d’occasion fait partie des plans stratégiques 2025 des concessionnaires. Comment allez-vous vous organiser pour les accompagner dans cette démarche ?
CB : Nous travaillons activement au développement d’un label Smart Certified. Il devrait être prêt pour le premier trimestre 2025. Il faut finaliser les contours de ce contrat avec le réseau. Elle aura pour objectif de rassurer les clients avec de nombreuses promesses et outils spécifiques à la commercialisation des voitures électriques d’occasion.